Reprendre une entreprise, bonne ou mauvaise idée ? Bonne, sans aucun doute, si l’on est prêt à affronter les grands enjeux de ce projet. Explications d’Ariane Olive, Avocat associé, Spark Avocats
Après des années de direction de filiales de grands groupes, arrive un jour où l’on souhaite devenir son propre patron. Et lorsque l’on n’envisage pas de créer sa propre structure, reprendre une entreprise est la solution idéale. Tout l’art de l’exercice consiste alors à éviter les écueils.
Reprendre une entreprise, bonne ou mauvaise idée ? Bonne, sans aucun doute, si l’on est prêt à affronter les grands enjeux de ce projet. Enjeu souvent prioritaire : parvenir à financer l’acquisition de l’entreprise, éventuellement avec l’appui d’un fonds d’investissement pour constituer un LBO. Autre enjeu : gérer la transition post reprise, qui consiste à reprendre les rênes de l’entreprise en la faisant évoluer tout en conservant ses acquis. Naturellement, le second est aussi crucial que le premier pour assurer une reprise réussie.
Echapper à la dictature des chiffres Lorsque l’on passe de cadre dirigeant à patron de PME, le premier réflexe est de se concentrer sur les chiffres. Et pour cause : si l’entreprise a été rachetée avec de la dette, la première préoccupation est bien sûr de rembourser cette dette. On analyse alors les indicateurs de volume et de rentabilité, on décortique les coûts et on construit un plan de bataille autour de courbes souvent haussières. Ce plan de bataille est conçu en amont, dès la phase de « due diligences », où se jouent les négociations de la reprise et l’élaboration du business plan. Pourtant, reprendre une entreprise ne doit pas consister à l’habiller pour la conformer à nos aspirations.
Bien au contraire : le nouveau dirigeant doit entrer dans la culture de son entreprise et prendre le temps d’en comprendre les codes. Cela nécessite de se détacher des chiffres, dans un premier temps, pour analyser toute la partie immatérielle et notamment la mécanique métier, les enjeux humains et managériaux. C’est identifier les leviers, à la hausse mais aussi à la baisse, dont le tableur Excel ne parle pas.
Echapper à la dictature des chiffres, c’est donc d’abord partir à la découverte de son propre terrain. Prendre le temps de s’imprégner de son entreprise La phase de « découverte » de l’entreprise ne se fait pas en 15 jours, ni même en un mois. Explorer son entreprise, c’est prendre le temps d’échanger régulièrement avec les équipes pour comprendre à qui l’on succède, cartographier les irritants, identifier des leviers de croissance qualitative.
C’est aussi prêter une oreille particulièrement attentive aux trublions pour ce qu’ils communiquent de sujets fondamentaux – tout en apprenant à les ignorer bien entendu, subtil équilibre ! Tous les repreneurs d’entreprises vous le diront : une transition managériale réussie passe d’abord par une écoute active, par une « malaxation du terreau » qui la constitue. Écouter, c’est acquérir des informations sur l’entreprise, ses processus et ses dysfonctionnements pour faire émerger les points de vigilance. Car une reprise peut parfois impliquer un ressenti, pour les collaborateurs, d’abandon par l’ancien dirigeant.
Le repreneur devra parfois veiller à combler ce vide ou à insuffler de façon rapide et déterminée une culture de l’évolution, ce qui nécessite la confiance et l’adhésion des salariés à un projet d’entreprise qui doit avoir été très clairement verbalisé par le repreneur. Ce focus sur la culture et sur la cadence à imprimer dans la cible est d’autant plus important dans l’actuel contexte de crise sanitaire qui impacte précisément les méthodes de travail et les cadences.
Mettre de côté son égo et ses certitudes Les mots sont simples mais la réalité ne l’est pas. Car le véritable défi, pour un repreneur, reste de parvenir à retirer ses œillères. Se détacher des tableurs, c’est être prêt à avoir tort, prêt à penser hors du cadre initial, faire confiance à son équipe de reprise pour identifier des signaux faibles comme d’éventuelles fuites dans le moteur de la cible. Reprendre une entreprise, c’est donc savoir faire taire son égo et être prêt à renoncer à ses convictions alors même que la reprise est, en dehors du projet professionnel, une véritable charnière de vie.
Faire preuve d’humilité et de remise en question n’est jamais chose facile dans un tel contexte. Pourtant, relever ce défi est une des clés majeures du succès. Les mois passés à ajuster sa stratégie, à renoncer à certaines idées, à mieux comprendre son marché et à connaître ses équipes constituent de précieux investissements. Prendre du temps au début, c’est s’assurer d’en gagner beaucoup ensuite.
C’est également la condition sine qua non pour que les projections du business plan puissent être atteintes sans éreinter les équipes, sans s’entêter dans la mauvaise direction. Reprendre une entreprise est donc un savant mélange de travail sur soi et de conquête des autres pour être légitime, apprécié et efficace dans son nouveau rôle de capitaine de navire.
(Tribune d'Ariane Olive, Avocat associé, Spark Avocats)