Voici un arrêt Cour de Cassation qui va faire du bruit ! Il indique clairement que l’on peut rendre un bien immobilier insaisissable par le biais de son démembrement entre nu-propriétaire et usufruitier.
Selon une décision récente de la Cour de Cassation, un créancier ne peut pas obtenir la vente d’un bien entier si son débiteur n’est qu’usufruitier ou nu-propriétaire et n’a donc pas la pleine propriété.
En clair, si le bien est démembré. Le démembrement, c’est la séparation entre la propriété d’un bien immobilier (appelée nue-propriété) et son usage (usufruit). Le nu-propriétaire possède le bien mais c’est l’usufruitier qui en a l’usage et qui peut en tirer profit, en le louant par exemple. Le démembrement est, la plupart du temps, temporaire, 10 ans en général. Au terme de ces 10 ans, le nu-propriétaire retrouve alors la pleine jouissance du bien.
Le démembrement est un mécanisme utilisé pour de multiples raisons. Cela permet, par exemple, de baisser la valeur d’un bien dans le cadre d’une donation ou d’une succession, par exemple. Pour le nu-propriétaire d’un bien, la valeur à déclarer est allégée à 60 % du bien dans ce cas. Les 40 % doivent être déclarés par l’usufruitier. Il est surtout très pratique pour permettre à un époux survivant de continuer à vivre dans son logement, une fois le bien transmis aux héritiers.
Pour les patrimoines les plus importants, cela permet aussi d’échapper à l’Impôt sur la fortune immobilière (IFI). Car la loi prévoit que la valeur d'un bien démembré sort de l'assiette imposable du nu-propriétaire. En d'autres termes, c'est l'usufruitier qui est imposable à l'IFI pour la valeur en pleine propriété du bien démembré. Si la donation temporaire d’usufruit porte sur des biens immobiliers ou des parts de SCPI (Société civile de placement immobilier), ils n’entrent plus dans votre base d’imposition à l’IFI. Mais attention, pour bénéficier de cet avantage, l’intégralité des revenus générés par le bien doit être cédée.
Le tout en toute légalité, comme l’a précisé Bercy. Dans le cadre de la loi de finances 2019, la majorité avait élargi la notion fiscale « d'abus de droit », aux opérations à but « principalement fiscal », et non plus seulement « exclusivement fiscal ». Beaucoup y ont vu ont atteintes aux donations en démembrement avec réserve d'usufruit. Mais Bercy a rassuré tout le monde en précisant les choses clairement. « En ce qui concerne la crainte exprimée d'une remise en cause des démembrements de propriété, la nouvelle définition de l'abus de droit ne remet pas en cause les transmissions anticipées de patrimoine, notamment celles pour lesquelles le donateur se réserve l'usufruit du bien transmis, sous réserve bien entendu que les transmissions concernées ne soient pas fictives (…) En effet, la loi fiscale elle-même encourage les transmissions anticipées de patrimoine entre générations parce qu'elles permettent de bien préparer les successions, notamment d'entreprises, et qu'elles sont un moyen de faciliter la solidarité intergénérationnelle. L’inquiétude exprimée n'a donc pas lieu d'être.
Mais la décision de la Cour de Cassation va peut-être pousser Bercy à revoir sa position. Car le démembrement pourrait désormais être utilisé pour rendre insaisissable un bien.
Dans l’arrêt de la Cour de Cassation, suite au décès de son mari, une veuve possédait l’usufruit d’un bien dont la nue-propriété appartenait à ses enfants. Un des enfants nu-propriétaire avait une dette impayée. Le créancier voulait donc faire vendre le bien immobilier en expliquant que chacun retrouverait sa propriété, à proportion, sur la somme produite par la vente.
La Cour de cassation lui a donné tort en prônant que le créancier ne peut pas mettre fin au démembrement qui distingue usufruit et nue-propriété car son débiteur lui-même n’en aurait pas le droit. L’enfant débiteur peut, selon les juges, mettre fin à l’indivision sur la nue-propriété avec ses frères et sœurs, puisque nul n’est tenu de demeurer dans l’indivision, mais il ne peut pas mettre fin au démembrement entre usufruit et nue-propriété si sa mère, usufruitière, n’est pas d’accord.
Le créancier n’ayant pas davantage de droits, ne peut pas non plus mettre fin au démembrement pour faire vendre le tout. Il faudrait qu’il obtienne l’accord de l’usufruitière, a rappelé la Cour de cassation. Ne pouvant faire vendre sur saisie la pleine propriété, son seul recours était de faire vendre la nue-propriété uniquement, ce qui ne peut pas aboutir au même résultat financier.